Stéphane Avelin, dit Pistache

Écrit par sur 2 juin 2022

Derrière tout grand chef, il y a une femme…  une sœur, et deux fils, et des parents et des grands parents !

Bon, je ne m’éterniserai pas sur ma première rencontre avec Pistache, à la terrasse du Gorille, un jour d’interview de Philippe Paga : si vous souhaitez avoir tout l’historique, je vous renvoie à La Gazette de juillet 2021 !

 

J’ai donc contacté Pistache, dès l’interview de Philippe achevée ; ainsi que celui-ci me l’avait si bien suggéré !
Le rendez vous est pris quelques jours plus tard, dans son restaurant Le Caprice des deux, rue du Portail Neuf ; charmante rue du vieux St Tropez qui relie les deux Églises !

Pour m’être déjà délectée de la cuisine de Stéphane Avelin, alias Pistache ; je connais l’endroit et retrouve avec plaisir la chaleureuse salle, vide pour une fois !

Je m’installe, commence à déguster le café qu’il m’a gentiment proposé ; quand celui-ci démarre bille en tête sur l’interdiction du moment pour les restaurateurs : servir ailleurs qu’en terrasses et au-delà de 21h.

Il me dit avoir beaucoup de reconnaissance envers toutes les aides qui ont été mises en place ; cependant :
« Notre métier c’est restaurateur !

Nous restaurons les gens, c’est-à dire que nous nous devons d’avoir une attention pour chacun, de servir l’apéritif, de faire une pause après l’entrée, tout ça prend du temps et fermer à 21h est impossible. Et en plus, je ne suis pas un gendarme !»

Les phrases fusent telles des mitraillettes, l’élocution est rapide, passionnée, l’accent méridional : je le ferai souvent répéter, jusqu’à ce que mon oreille de parisienne finisse par s’habituer !

Après un week-end douloureux de ré-ouverture, il a donc finalement pris la difficile décision avec son équipe, d’attendre la possibilité de recevoir à l’intérieur et avec un couvre feu plus tardif.

Un papa menuisier, une maman vendeuse en grand magasin à Toulon ; il découvre son métier pendant les vacances, à travers les yeux de son grand-père.

Celui-ci détient avec sa femme un camping au Lavandou et propose des plats à emporter aux clients. Il est passionné et récolte tant de reconnaissance de la part de ses clients pour sa cuisine généreuse, que le petit garçon ne pourra envisager un autre métier.

« Et pourtant, c’est difficile et ingrat car il faut beaucoup de temps et de patience pour apprendre ce métier, le faire bien chaque jour. C’est autant de temps qu’on ne passe pas avec sa famille.»

Pistache fait son École hôtelière, dont il sort à 17 ans et une agence d’intérim à Nice lui permet de travailler dans quelques étoilés.

« Mais là où j’ai vraiment appris mon métier, c’est à La Pergola, un hôtel restaurant à Cavalaire, tenu par la famille Azori, mère et fils. J’y suis resté cinq ans et c’est eux qui m’ont construit.»

C’est même Maurice Azori qui lui donnera son surnom : Pistache. Il y apprend toutes les bases : les biscuits, les coulis, les fonds de sauce…

Sous la direction de son chef, Pistache doit faire manger midi et soir, 80 pensionnaires et bien sûr : tout à la main, sans les aides culinaires que certains restaurants utilisent aujourd’hui.

Et puis, recommencer, toujours…
« J’ai pleuré corps et âme mais je voulais ne jamais décevoir mon chef et qui est encore aujourd’hui, mon mentor!»
Tous les soirs, il recopie sur des cahiers, les recettes que Mr Azori lui apprend ; cahiers qu’il a toujours en sa possession et qui peutêtre un jour, serviront , à un livre me dit-il…

Et oui, Pistache ménage ses effets : je lui demande par exemple, pourquoi on le surnomme du nom de ce délicieux petit fruit sec :

« J’ai toujours été le plus petit, je mesure 1m62 et je faisais beaucoup de bêtises dans mon apprentissage ! » Je ne comprends pas bien le rapport et reste dubitative. Je réussirai à avoir la vraie réponse en fin d’entretien.

En 1988, Pistache vient à Saint Tropez pour travailler à l’Entrecôte 21, à l’âge de… 21 ans, justement ! C’est d’ailleurs ce restaurant – déjà situé rue du portail Neuf – qu’il rachètera quelques années plus tard et qui deviendra le premier Caprice des deux.

Nano, célèbre restaurateur, le repère et l’engage comme chef, à l’Epi Plage. Tous les jours, il lui faudra régaler et surprendre Johnny Hallyday, Elton John, Yves Mourousi… pour ne citer que ceux là.

Malgré son immense palette, il ne connaît pas tout et sera bien embêté quand Johnny lui demandera des Spare Ribs, pour le lendemain.

Pas de recherche possible sur le net à l’époque. Il fait donc le tour de tous ses copains chefs qui pourraient l’aiguiller sur cette recette de travers de porc.

En fin de repas, Pistache vient saluer la table, avec quelque appréhension bien sûr. Johnny souhaite lui chuchoter quelque chose à l’oreille, Pistache se penche : « Ce qu’on a mangé c’était très sympa mais je vais te donner le numéro de mon majordome qui te donnera la vraie recette de mes Spare Ribs ! »

« Et aujourd’hui, j’ai la recette de Johnny Hallyday !» m’annonce fièrement Pistache.
Nano, ravi de son travail, le garde dans son équipe en ville : « Chez Nano ».

Pistache vit alors une jeunesse de rêve à Saint Tropez : il travaille énormément ce qui lui permet d’assouvir ses… caprices : voiture, 4X4, moto Harley Davidson, bateau et la fête bien sûr.

« On roulait en Harley, sans casque à Saint Tropez ! » me rappelle-t-il.

 

Quelques cinq ans plus tard, Nano vend son restaurant. Pistache et sa sœur Sonia – qui elle même a fait l’école hôtelière et travaille en salle, dans un bel établissement tropézien – nourrissent le rêvent de posséder leur affaire.
Ils expliquent le projet à leurs grands parents.

Ceux-ci se sont sacrifié toute leur vie pour le bonheur de leurs enfants et petits enfants ; alors, il n’est évidemment pas question de ne pas leur venir en aide financièrement, pour ce qu’ils estiment être quand même, un caprice…
le caprice des deux : le nom du restaurant est trouvé !

La même année, Pistache crée avec Sonia, sa propre affaire et de surcroît, devient papa !

Quelques mois après l’ouverture du restaurant, un de leur client – et non des moindres puisque qu’il s’agit du Prince de Lignac – les choisit pour son repas d’anniversaire. La charmante Place de l’Ormeau est louée, Sonia organise la décoration, les Maîtres d’hôtels de France servent en queue de pie et gants blancs.

L’événement est relayé par la télévision et offre une belle vitrine pour cette jeune adresse.

L’année d’après, il est nommé à 27 ans, espoir de la Gastronomie Provence Côte d’Azur. Des critiques culinaires étaient donc venus incognito, juger sa cuisine dont la réputation avait déjà fait le tour du Golfe.

En 1999, ils font le choix de s’agrandir et de déménager quelques numéros plus loin dans la même rue.
« Cela fait vingt sept que nous sommes dans la même rue, dont vingt deux à l’actuelle adresse.»
Depuis, le restaurant est dans tous les guides et Pistache est devenu « Maître restaurateur»

« Maître restaurateur, c’est quoi ?» je demande.
« C’est un titre d’état, délivré par le Préfet.

Quelqu’un se déplace sans prévenir pour faire un audit, il doit constater notamment que 90% de la carte est faite maison. Ils choisissent dans chaque département un chef et organise un concours régional.»
Pistache se décide à faire le concours :
« J’y vais pas pour gagner ! » lance-t-il alors à sa femme, qui ne le croit pas une seconde !

Pistache ne laisse rien au hasard, travaille d’arrache-pied. On ne peut plus l’approcher pendant trois semaines, le temps de concocter sa recette de tournedos Rossini ; plat que les organisateurs lui ont pourtant déconseillé,
le jugeant trop classique. « Je voulais avoir un accident sur la route, tellement j’avais le trac ! Dans la voiture, j’avais deux restaurants, tant je ne voulais rien avoir oublié !»

Son tour vient, il ne tremble plus et compose un Mille-feuille de Rossini :
Quelques pétales de pommes de terre et de topinambour, un filet de canette, une tranche de bœuf d’un centimètre, le foie gras. Une laitue braisée et quelques vieux légumes d’antan avec une sauce aux truffes accompagnent le tout. Ça y est : je salive ! Le jury est conquis par cette recette revisitée et Pistache gagne le concours.

« Mais alors, avez-vous déjà envisagé, le concours des meilleurs ouvriers de France ?»
« Ah non, c’est pas pareil ! Ce sont des gens exceptionnels qui préparent ce concours en deux ans au moins. C’est une autre dimension. C’est le sacrifice d’une vie pour être meilleur ouvrier de France !»

Cependant, le chef d’un petit routier mérite tout autant de reconnaissance, selon lui : « La cuisine française, elle brille partout, pas seulement dans les 3 étoiles. On ne mange pas la même chose mais la passion et l’amour sont
souvent les mêmes !

Il y a beaucoup de lieux moins prestigieux qui font très bien leur métier et qui sont souvent oubliés alors qu’ils font travailler les éleveurs et les agriculteurs du coin.»
Et puis, tout à coup : « Excusez moi : le timing !»

Pistache bondit et monte quatre à quatre, l’étroit escalier situé en face de moi et me laisse avec sa charmante femme qui s’est installée pendant l’entretien, à quelques tables de là, pour travailler.

« Oui, il a quelque chose sur le feu : une préparation pour le salon Les chefs de cuisine fêtent les producteurs, qui a lieu dans deux jours ! » me précise-t-elle.

Une inquiétude me saisit : j’ai fait louper un plat au chef ?
«Non, ne vous inquiétez pas, cela doit mijoter longtemps, ça n’en sera que meilleur» me rassure-t-elle.
« C’est la sauce pour vendredi» me lance Pistache de la cuisine, à l’étage !

J’attends patiemment, un ange passe, enfin, non : un vol de mouettes se fait entendre au loin ! Dans ce calme après-midi de juin, tout le monde travaille silencieusement ; César, le fils cadet, y compris. Celui-ci est entré discrètement entre temps et s’affaire derrière le bar.

Alors, venons y : les enfants et la transmission. Pistache et sa femme ont deux enfants : Jules et César – vous remarquerez la note d’humour ou les rêves de grandeur ! – , 28 ans et 18 ans !
Jules est chef de rang en salle et César est en cuisine, parfois.

« Ils travaillent avec nous tous les deux, et c’est une grande victoire quand je pense à mes anciens qui ont fait le sacrifice d’une vie pour moi et ma sœur ! Mais je veux les laisser prendre leurs décisions pour la suite ! »

Sa femme intervient : « Il faut qu’ils puissent construire quelque chose qui corresponde à leur identité ! Pour l’instant, Le Caprice des deux est très identitaire. Il resteraient « les enfants de », et ça, ce n’est pas évident ! Il faudrait qu’ils puissent faire leurs armes ailleurs et revenir avec leurs idées ! D’ailleurs, depuis que Jules travaille avec nous, la clientèle du restaurant se renouvelle.»

« 30% du chiffre d’affaires, c’est lui qui les ramène» rajoute fièrement Pistache.
Pistache me fera également nombre de compliments sur César qui a su optimiser

dernièrement l’organisation d’un apéritif dînatoire, en soirée privée. César accompagnait son père dans le but d’observer, il finira par prendre les commandes de l’organisation en plein coup de feu : « Papa tu m’écoutes : tu restes à la grillade, et moi je m’occupe des garnitures !»

« Il a tout géré, avec une vision d’ensemble. » se souvient Pistache.

On sent bien que papa Pistache est très heureux entourée de cette équipe familiale :
« On est tous ensemble ! C’est un métier compliqué : mon grand fils Jules, on l’a pas vu grandir par exemple ! Alors maintenant, on est heureux de pouvoir profiter de ces moments ensemble. »

Cette complicité familiale crée d’ailleurs, cette atmosphère si spéciale du Caprice. « J’ai toujours su faire aimer à mon équipe ce que nous faisons tous ensemble !»

Pistache me parlera également avec beaucoup d’affection, de son fidèle second Yannick, collaborateur de 20 ans.
«Je suis le seul chef propriétaire de mon établissement à Saint Tropez !»

Et de réaliser en effet, que la majorité des restaurants tropéziens appartiennent à des directeurs-investisseurs qui gèrent et qui engagent un chef ; celui-ci passant souvent derrière les préoccupations de concept et de
décoration !
« Je vais éteindre la sauce !» Pistache bondit à nouveau au premier étage, pendant que Madame répond au téléphone : « Nous sommes fermés jusqu’au 9 juin ».

« Je l’avais déjà éteinte !» me dit-il en revenant. Il me confie alors que cela lui est déjà arrivé plusieurs fois, de revenir en pleine nuit au restaurant, avec l’angoisse d’avoir mal éteint le gaz.

Plus rien ne peut le faire repartir de Saint-Tropez : « J’y ai trouvé…» « Un havre de paix ! » C’est César qui vient de finir la phrase de son père !

Et Pistache de rajouter : « L’hiver on y trouve la sérénité : j’écoute des bruits qu’on entend pas l’été, des couleurs, des senteurs et l’été, on travaille avec une magnifique clientèle qui me suit encore aujourd’hui. St Tropez fait toujours rêver et j’en rêve encore ! Même si à 55 ans, je n’ai plus besoin de Harley ou de sortir en discothèque ! Je laisse ça à mes enfants maintenant !»

Mais alors, quel est son secret pour tenir pendant la saison ? Et là c’est Madame qui répond :
« On a de fidèles clients ! Alors, notre plus grand plaisir c’est de les recevoir d’une année sur l’autre !»
Pistache se souvient alors, de ce monsieur venu avec deux cannes et toutes les difficultés que cela implique pour se rendre dans la vieille ville tropézienne :

« Quand j’ai vu comment il avait galéré pour venir manger chez moi, j’étais honoré !»
Pistache est venu le voir à la fin du repas, pour savoir si il avait passé un bon moment : « Je suis content !» a-t-il rétorqué ! Il n’y avait rien de mieux pour satisfaire Pistache.

 » Être content» : j’aurais imaginé qu’il me cite un commentaire de client plus élaboré mais non, c’est celui-ci qui lui revient tout de suite en tête :
« Je vous en parle et j’en ai encore des frissons !» me dit-il.

Et je vois bien que les yeux brillent également ! Aimer si profondément rendre les gens heureux… Le monde se porterait sans doute un peu mieux, si ce sentiment était partagé plus largement.

Il me parle aussi de ces enfants qui prennent leurs parents par la main, pour venir lui dire au revoir en cuisine, quand ce n’est pas Mireille Mathieu qui le réclame en salle pour pouvoir le remercier :

« J’espère que vous avez passé un bon moment Mireille, avec vos amis ?» Et elle de lui chanter, droit dans les yeux, en réponse : « Quand je te prends dans mes bras, je te parle tout bas, je vois la vie en rose, je te dis des mots d’amour… » La vie en rose de la grande Piaf réadaptée à la première personne, pour Pistache !

« Et là, moi qui voyait Mireille Mathieu, en noir et blanc, à la télé, à l’époque, j’ai pensé à mon père, à ma mère, j’ai revu toute ma vie et suis tombé à genoux en pleurs !»

Puis, il finira par me parler de la visite de Mr Azori – son ex-patron mentor – venu manger chez lui, il y a trois ans à peine. « Chef, pourquoi m’avez vous appelé Pistache, à l’époque ?» ose-t-il enfin, lui demander !

Pistache m’explique donc, juste avant que l’on ne se quitte, la vraie raison de son surnom :
« Il y a trente ans, quand je suis arrivé à La Pergola, j’étais responsable des desserts et j’ai demandé à Mr Azori pourquoi, il ne faisait pas de glace à la pistache.

Il m’achète donc de la pâte de pistache pour que j’en fasse. Un jour, en plein service, il me cherche partout et l’équipe m’a retrouvé assis sur un carton, au fond de la chambre froide, en train de manger de la glace à la pistache. Je ne me souvenais même plus de ça ! »

« Mais qu’est ce que vous faisiez en plein service, à manger de la glace à la pistache ?» je demande !
« J’ai craqué, que voulez vous, ça arrive !»

Ainsi, je me dis que depuis trente ans, Stéphane pense qu’on l’a surnommé de cette manière moqueuse, en référence à à ses bourdes d’apprenti et à la dernière partie de ce sobriquet, mais la vérité est bien plus bienveillante et tendre. Comme quoi, il faut toujours oser parler !

L’interview se terminera d’ailleurs, par la question de Pistache : « Bon, combien je vous dois ?» me dit-il en riant,
alors que je me lève.

«Pardon ? »

« Pour la thérapie ? De vous parler comme cela, ça fait du bien ! »


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