Les Cadel, Père et Fille

Écrit par sur 11 juin 2020

TOUJOURS ËTRE LÀ !

Ce matin là, à St Tropez soufflait un vent à décorner tous les… Bref ! Même les mouettes avaient du mal à se stabiliser au dessus du cimetière marin, magique cimetière à côté duquel je m’étais garée difficilement.

Plus une place à la Citadelle : en ce mois de juin 2020 d’après confinement, les entrepreneurs devaient rattraper leur retard et tous les camions étaient de sortie.

La veille au soir, je m’étais entretenue avec Marie-Anne Cadel, ce matin, je rencontre le père : Jacques Cadel. Marie-Anne m’a déjà donné beaucoup d’éléments.

Est ce que Jacques me donnera les mêmes ? Tout cela va t­-il parfaitement s’imbriquer ?
Au Lou Revelen, je retrouve Jacques, devisant gaiement avec un ami : « C’est le banc des mensonges ici !» me lance t il !

« Ah ! Vous allez être content aujourd’hui Mr Cadel avec cette interview, regardez : le soleil se lève d’ailleurs ! » dit tendrement un de ses employés.

« Suivez moi, nous serons plus tranquilles dans la salle du Mazagran»

Et, oui ! Faut suivre : Marie-Anne, qui a pris la suite de son père, est à la tête de trois établissements sur cette
superbe esplanade qui surplombe La Ponche ; le restaurant La Pesquière complétant ce tableau.

Nous rentrons dans la salle à la belle cheminée :

« Asseyez vous là !» dit il en me dé­signant une table. Il écarte une chaise, je pense qu’il va s’asseoir, je fais donc le tour pour m’asseoir en face : « Mais non, asseyez vous ici, vous serez mieux, vous serez face à la mer !»

Quelle délicatesse : il avait préparé la chaise pour moi !

Je commence à enregistrer (souhaitons que ça marche ce coup ci !) et il commence par me demander d’où je viens : la déformation professionnelle sans doute !

« Ah, non Jacques : n’inversons pas les rôles !»

Dans les années 50, Jacques fait des études d’agriculture à Hyères, part au service militaire, et en revenant, n’a finalement, pas du tout envie de faire l’agriculteur. « Pourquoi tu n’ouvrirais pas un restaurant ?» lui souffle un ami.

Les parents de Jacques, postiers, possèdent ef­fectivement une maison au 1 rue des Remparts : celle là même qui deviendra La Pesquière.

La famille déplace donc salon et cuisine personnels au premier étage et en 1962, le rez-de-chaussée est libéré pour le restaurant du fils.

Je m’étonne : « Pourquoi ouvrir un restaurant quand on a pas une passion particulière pour la cuisine ?»
« Tout le monde le faisait à l’époque, il y avait une demande, alors…» Il me dit avoir tout de suite été bien accompagné de ses chefs et autres collaborateurs et s’être finalement laissé porté.

Je lui fais quand même remarquer qu’il doit aimer le contact avec les gens pour, à 82 ans, être là tous les jours, même lors de cette injuste fermeture administrative de 2018.

Marie-Anne m’avait effectivement confié cette mésaventure : un retard de déclaration, un contrôle et 15 jours de fermeture en plein été ! Qu’à cela ne tienne, Jacques sera quand même là tous les jours midi et soir, pour accueillir les touristes qui se casseraient le nez.

Les employés et Marie-Anne se relayent auprès de lui pour accueillir les clients déçus et expliquer.

Ceux-ci réclament un cahier pour signer une pétition et écrire leur colère ; les voisins s’organisent pour apporter à manger puisqu’ils n’ont plus le droit de servir et tout cela finira par une grande fête ensemble !

Comment ne pas lui être fidèle à Jacques ? Lui qui, chaque année, écrit 500 cartes de vœux à la main, chacune avec un mot personnel ?

Les clients le remercie l’été suivant : « Cela nous rappelle les vacances !»

82 ans ai-je écrit ? Oups, pardon : je corrige Jacques !

« J’ai eu 100 ans, il y a une dizaine d’années !» m’a­ t-­il lancé avec tant de malice .

Mon entretien est interrompu quelques secondes, le responsable de la terrasse demande conseil : « Mr Cadel, on attend encore un peu pour dresser dehors ? Il y a encore trop de vent, n’est ce pas ?»

Et oui : quand Marie-Anne n’est pas là, on continue bien sûr, à valider avec Jacques. Quand ce n’est pas Jacques en personne, qui apporte un café ou débarrasse une assiette au passage !

D’une chose à l’autre, Jacques évoque un lieu mythique de fête où il allait danser avant guerre : Chez Palmyre !
Le père Palmyre lance en italien : « Qui veut danser, paye !»

Quand tout le monde a payé, il enclenche le piano mécanique et on danse autour d’un poteau. Un Lord anglais aurait même tourné ainsi pendant 3h de suite !

Il y a une expression belge qui dit : « La pomme ne tombe jamais loin de l’arbre» ; expression tout a fait adéquate pour ces deux là car nous avons également, beaucoup échangé avec Marie-Anne a propos des nuits tropéziennes.

Elle me parle par exemple, de cette fois où Elton John a pris pos­session pendant une heure du piano de l’Hylarios
­piano bar aujourd’hui disparu ­devant une terrasse bondée, ébahie et muette.

Pauvre pianiste obligé d’enchaîner après Elton John…

Quand je demande à Jacques ce qu’il pense avoir transmis à sa fille : « Être là tout le temps ! Quand on a une affaire, il faut y être ! Mme Sénéquier, jusqu’à sa mort, elle était assise dans sa pâtisserie !»

Marie-Anne m’a également parlé de ce métier qui l’a guérie de sa timidité enfantine. Timidité qui me sera confirmée par Jacques : le peintre Jean-Denis Maillart, souhaitait faire un portrait d’elle quand elle était petite mais elle filait se cacher sous les tables… Marie-Anne qui, dès l’âge de douze ans, fait les saisons auprès de ses parents et qui répond aux amis : «Jamais, je ne re-prendrai le restaurant de mes parents ! »

Elle a effectivement essayé d’échapper à son destin : études de sport à Paris, début de vie professionnelle dans le stylisme à Toulouse mais suite à un divorce, elle se rend bien compte que Saint Tropez et le restaurant familial coulent dans ses veines !

Elle m’a confié aussi les difficultés que l’on rencontre pour s’occuper d’un enfant quand on travaille dans la restauration à Saint Tropez : « La première année, au mois d’août, j’ai dû voir mon bébé 15 heures en tout et pour tout, !»

La famille Cadel sera d’ailleurs de nouveau, mise à contribution : Mme Jacques Cadel arrêtera de travailler au Mazagran pour garder son petit fils ; puisque le papa du petit travail­lait… dans l’affaire familiale lui aussi!

Travailler en famille, c’est complexe bien sûr, surtout quand la famille in­clut également quelques fidèles sala­riés : des anniversaires sont fêtés ensemble, certaines vacances pas­sées ensemble…

Je comprends qu’on ne résiste pas au charme des Cadel !

Je conclus mon entretien avec Jacques et lui dit que je lui ferai signe un peu plus tard quand on aura be­soin de lui pour la photo avec sa fille :

« D’accord ! Je suis là !» Encore une fois : être là, toujours !

En attendant Marie-Anne justement, j’assiste à une scène typiquement tropézienne : deux voisines dégustent leurs cafés en terrasse. Leurs petits chiens en liberté s’amusent à quelques mètres.

Un touriste passe avec son chien en laisse, ils aboient et manquent de se battre.

« Vous pourriez tenir vos chiens en laisse quand même !» « C’est vous qu’on devrait mettre en laisse, ils sont chez eux ici !»

Réponse du tac au tac de cette élégante tropézienne : « Vous comprenez, les gens deviennent fous !» m’explique telle ! « C’est comme cette nuit : il y a une bande de jeunes qui a fait la bringue jusqu’à 3h du matin sur le quai de la Ponche, ce matin, il y avait encore une Porsche garée dans le sable !» Oui, je suis bien à St Tropez, il n’y a pas de doute !

Jacques et Marie-Anne souhaitent maintenir ce mélange de clientèle dans une brasserie à la cuisine simple, aux prix abordables ; une brasserie où les grands de ce monde viennent également ­vous seriez d’ailleurs étonnés mais je suis tenue au secret ! ­et surtout où tout le monde se parle.

Même avec des emportements ! Oui : tout est effectivement parfaitement imbriqué dans cette famille et dans
cette équipe.

Alors, merci ! Merci Jacques et Marie-Anne de toujours… Être là !


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