Yann Arthus-Bertrand

Écrit par sur 20 avril 2022

NE RIEN ATTENDRE, FAIRE !

« Vous revenez au pays ?»

« Heu… Oui, on peut dire ça !» avais-je répondu à une petite dame qui mangeait avidement sa glace et qui m’avait abordée à l’ombre de l’ancestrale glycine de la gare des Arcs-Draguignan !

J’attendais effectivement aux abords de la gare, l’ami dévoué qui avait bien voulu venir me chercher en voiture, pour m’emmener dans mon village préféré : Saint Tropez !

Elle avait donc jeté un coup d’œil à mon énorme sac – je ne sais pas voyager léger ! – et avait dû se dire : « Tiens, voilà une enfant du pays qui revient à la maison !»

Et c’était effectivement tout a fait ma sensation, toute parisienne que je suis pourtant !

Je venais de croiser cette même petite dame – aux cheveux blancs et un peu perdue – à la Maison de la Presse/Café de la gare. Elle tournait dans le coin visiblement depuis un certain temps ; et avait poliment dit bonjour aux trois clients que nous étions : deux ouvriers ferroviaires et moi même.

« J’ai bien envie d’une petite glace, moi» avait-elle lancé au milieu des plaisanteries échangées entre la vendeuse et les deux ouvriers, habitués des lieux.

« Mais le problème c’est que j’ai oublié de prendre mon porte monnaie…» Élégante manière d’annoncer qu’elle n’avait sans doute pas, de quoi se la payer.

Petit moment de gêne… J’ai bien quelques pièces de monnaie et je veux bien participer à cet achat mais je n’ai pas le temps de dire ouf, que déjà, l’un des ouvriers propose :
« Qu’est ce que vous voulez Madame comme glace, je vous l’offre !»

Un sentiment de honte s’est immédiatement abattu sur moi :
c’était le travailleur qui avait pris l’initiative de régler la glace ;
la vacancière que je suis alors, a hésité à sortir son porte monnaie !

Enfin, vacancière… oui, quelques jours de repos mais je sens bien que ceux-ci vont avoir un goût un peu différent cette fois…

Les feux de l’été 2021 sont passés par là et j’observe avec désolation les paysages désertiques, alors que la voiture file vers Saint Tropez.

Je repense alors, à cette interview que j’ai faite de Yann Arthus Bertrand, durant l’été 2020, et que mes amis de La Gazette n’ont pas encore publiée.

Elle prend encore plus de sens aujourd’hui… La voici donc pour vous maintenant !
30 juillet 2020 : c’est mon anniversaire et j’ai pu, au dernier moment, me libérer pour passer quelques jours à Saint-Tropez. Au programme : retrouvailles, fêtes et farniente !

Le téléphone sonne ; c’est le graphiste de La Gazette : « Oh! Comme c’est gentil de m’appeler pour mon anniversaire !» me dis je en moi même !

« Véro, j’ai un super cadeau pour toi : une interview de Yann Arthus6Bertrand ! Il est à St Tropez cinq jours, pour photographier des tropéziens ;

tu peux avoir 20 minutes de rencontre et ce serait génial que tu nous écrives quelque chose !»

Bref, ils veulent un portrait du portraitiste ! Bon… J’étais là pour quelques jours de décompression totale mais c’était sans compter sur mes amis de La Gazette Tropézienne qui aiment bien s’occuper de mon emploi du temps dernièrement !

Bien sûr, une occasion comme celle là ne se rate pas et on ne peut résister à une telle rencontre.
Il va donc falloir bûcher un peu, me renseigner sur l’homme pour poser les bonnes questions et essayer d’aller au delà de ce qu’un tel photographe et écologiste représente dans les médias.

Voilà, c’est fait : je me mets la pression ! La détente ? Pour une autre vie sans doute !
Cela tombe bien, YAB – comme on l’appelle dans la presse lue sur le net – fait une conférence au cinéma La renaissance ; de quoi en apprendre déjà beaucoup.

Premièrement, son rapport à Saint Tropez : il n’est pas revenu ici depuis ses 18 ans et ses débuts d’acteur de cinéma dans le film “Dis moi qui tuer”, tourné avec Michèle Morgan. Yann a 74 ans et vient cependant, régulièrement dans la région : il possède une maison à Port Cros.

Dans les années 70, sa passion pour les lions l’incite à soutenir une thèse et lui fait découvrir la photographie. Il étudiera avec sa femme, la même famille de lions pendant trois ans, au Kenya.

Il y gagne sa vie en étant pilote de montgolfière, dans laquelle il emmène les touristes observer les animaux sauvages. La vue du ciel déjà !

C’est dans les années 80 – l’âge d’or de la photographie, que YAB deviendra photographe international de presse, spécialisé dans les reportages d’aventure, de nature et de sport ; il couvre notamment de nombreux Paris-Dakar.

J’ai d’ailleurs lu qu’il avait échappé à la mort en 1986, en cédant sa place à Daniel Balavoine dans ce fatal hélicoptère qui s’écrasera quelques heures plus tard…

Comment appréhende-t-on la vie après un tel coup du destin ? Il ne faudra pas que j’oublie de lui demander.
Bref, Yann nous retrace tout son parcours, en le ponctuant par la projection de ses merveilleuses photos et avec comme axe toujours :

l’écologie, la disparition des espèces, le réchauffement climatique…

Ce qui était, n’est plus et ne sera plus jamais : ce n’est pas gai mais il nous avait prévenu en début de conférence !
A l’issue de la conférence, nous sommes invités à traverser la Place des Lices afin d’assister à une remise de médaille et participer au vernissage de l’exposition organisée par Bel Air Fine Art – un groupe de galeries d’art contemporain présent dans une vingtaine de villes à travers le monde, dont St Tropez .

La rétrospective salle Jean Despas, est sublime : photographies animalières, quelques fameux clichés aériens, une série de portraits d’agriculteurs avec leurs animaux, celle de propriétaires de chiens…

Et puis également, tout fraîchement installés : les portraits de quelques figures tropéziennes immortalisées le jour même ; clichés qui viendront enrichir sa série « Portraits des Français». Conférence, rétrospective, prises de vue : oui, quand YAB se déplace, c’est pour faire d’une pierre, plusieurs coups!

Trois jours que je lis sur l’homme, plus une conférence-rétrospective :

je suis donc prête pour mon interview au premier étage de la salle Jean Despas. Un studio photo y a été installé et Yann y œuvre sans relâche depuis 4 jours. La charmante Camille, chargée de communication, m’a gentiment réservé le dernier créneau d’interview, me laissant espérer que celle-ci pourrait peut-être durer plus que les 20 minutes d’abord convenues…

18h55, je pousse la porte vitrée : quelle ambiance ! Une petite vingtaines de personnes est là : des jeunes, des vieux, des bébés, des chiens !

Camille ne sait plus trop où donner de la tête ; Françoise, la fidèle assistante de YAB, essaye de mettre de l’ordre dans ce joyeux bazar et prie instamment ceux qui ne sont pas venus se faire photographier, de s’asseoir : «il faut que je regroupe mes p’tits» !

« T’es qui toi ?» me lance joyeusement Yann !

«La Gazette Tropézienne» dis-je en exhibant le magazine !

« Oh la la, mais j’ai pas fini ! Il nous reste combien de familles encore à photographier ? ? S’il vous plaît, combien?»

Personne ne sait vraiment ! Ce que l’on sait, c’est que c’est au tour des Caves du Roy !

« C’est quoi Les Caves du Roy ?» demande-t-il.

Heu… Comment t’expliquer Yann ?! Mais Yann est déjà passé à autre chose et parle avec les précédents modèles, pendant que Françoise commence à mettre en scène la famille nombreuse propriétaire de ce lieu tropézien mythique.

Dans l’ivresse du moment, les choses s’enchaînent gaiement : Yann me présente au passage son filleul
Arthur – qu’il a un jour, perdu en Afrique alors qu’il était enfant ! tout en demandant à ceux qui quittent le studio de manger bio ; mais aussi, tout en récupérant les coordonnées d’autres modèles pour leur envoyer les informations sur sa fondation Good Planet ; tout en rappelant qu’il faut téléphoner au pêcheur pour qu’il revienne
avec sa tenue professionnelle…

Et tout à coup : «Parfait cette mise en place Françoise !»

Avec la vivacité d’un jeune homme, il attrape son appareil, se retourne, s’assoit et shoote. Il lance quelques plaisanteries ; demande deux/trois corrections de lumière, quelques changements de positions jusqu’à :

« Faites ce que vous voulez maintenant, déconnez si vous avez envie…

Les derniers à qui j’ai dit ça, ils m’ont foutu un beau bordel !»

Ça y’est : Yann est satisfait, montre les clichés aux modèles pour validation et les remercie. On peut donc passer aux suivants : le Château des Marres est dans la place !

« Bon, pendant le temps de l’installation, on va faire l’interview de ce journal international : La Gazette Tropézienne !»

J’éclate de rire et lui fait remarquer que le local c’est désormais l’avenir !

J’ose un « Mais Yann, il faut que vous soyez un peu disponible !»

« Disponible ? Je t’explique : je ne serai jamais disponible !»

Ok ! Faisons cela entre 2 photos : va falloir que je garde le fil ! Car lui, c’est sûr, rebondira très vite !
Le tutoiement est de mise tant l’homme est sympathique :

« Depuis mon arrivée, je remarque qu’avoir été acteur, t’aide dans ton métier de photographe ! C’est un show permanent avec toi !»

« Oui, je suis quelqu’un d’extraverti, mais là, c’est la vraie vie que je photographie ! Regarde !» me dit-il en désignant ses modèles en face de nous : « Les liens qui les unissent sont vrais, c’est pas comme au théâtre ! Je sublime la vraie vie !»

« Mais Exactement comme au théâtre Yann.» Oui, j’ose le contredire : « Le théâtre c’est juste un peu plus que la vie, exactement comme tes photos en fait ! »

Cela commence donc bien : nous ne sommes pas d’accord ; mais comme l’être est généreux, rieur et surtout préoccupé par d’autres sujets bien plus essentiels, il ne m’en tient pas rigueur .

On enchaîne donc sur sa démarche artistique et son métier de photographe :

« Il faut avoir une vision à long terme. Quand j’ai fait “De la Terre Vue du Ciel“, j’ai hypothéqué ma maison, je n’avais pas de mécène. Je savais juste que je faisais un travail important.

J’ai eu de la chance également. C’est pas un métier facile aujourd’hui. En revenant du Kenya, jamais je n’aurais pensé que mes photos de lions allaient faire un sujet dans Paris Match. Tout le monde voulait des images de voyage. Le métier et le monde ont changé.»

«Cela fait quatre jours que tu photographies des tropéziens, as tu noté un point commun ?»
Il y a vraiment une chose qui m’a épaté : c’est la beauté et la grâce des filles !

Nous continuons sur son travail de réalisateur, une simple prolongation du travail de photographe selon lui : ses films 6 milliards d’autres, Human , Women et bientôt Legacylui permettent encore plus de raconter «la vraie vie» et les «vrais gens».

« Tu n’es plus au cadre dans tes films puisque tu as décidé de ne plus prendre l’avion ?»

« Si moi, à 74 ans, je ne le fais pas, qui va le faire ? Je fais filmer en drone sur  place car je m’aperçois de toute façon, que tout le monde filme aussi bien que moi !

On se débrouille très bien avec ce qu’on nous envoie.

Que réponds tu à ceux qui critiquent la compensation carbone, en estimant que c’est une manière de payer sans changer notre système de consommation ?

Je dis que c’est mieux de le faire que de ne rien faire du tout, mais que c’est encore mieux de ne pas prendre l’avion !

Échanges tu souvent avec Nicolas Hulot ?

Très peu même si on se connaît depuis longtemps.

On ne fait pas vraiment la même chose. Je suis pas au niveau de ce qu’il sait faire. Moi je fais des images et je ne suis pas très proche des Politiques, je n’y crois pas du tout : je ne crois qu’en la démarche individuelle, c’est cela qui va changer les choses.

Il y a 2 millions de personnes qui se déplacent pour une coupe du monde de football et 50000 dans une marche pour le climat : quand on sera 2 millions dans la rue pour le climat, les Politiques changeront !

Que penses tu de la démarche de La Convention Citoyenne pour le Climat ?

On a lancé un film dessus. On est très ami avec Cyril Dion, un des garants de la Convention. Lui et Mathilde Imer , du comité de gouvernance, sont des gens tellement engagés et qui n’ont pas d’ego.

Ils ont compris que le changement passerait par les Citoyens, pas par les Politiques. Nicolas Hulot a essayé, il fallait essayer !

Peux tu me parler de ta fondation GoodPlanet ?

On a surtout un lieu dans le Bois de Boulogne où on reçoit gratuitement les gens pour parler environnement et écologie. Un lieu de transmission et de sensibilisation.

Un lieu d’écologie humaniste. 30 minutes plus tard ; alors que plusieurs autres familles sont passées devant son objectif, que quelques bagarres de chiens ait été évitées, que l’endroit du dîner d’équipe est enfin choisi :

« J’en peux plus, viens, on sort d’ici boire un coup en bas !»

Camille ne m’avait donc pas menti : je vais avoir la chance de continuer l’interview au delà des 20 minutes consenties, dans un moment d’échange privilégié. Il se dirige vers le Sporting et l’on s’assoit à la seule table libre à
côté de… Franck, photographe et directeur de publication de la Gazette qui m’attendait patiemment accompagné d’un ami, également photographe.

Et là, une conversation à bâtons rompus s’engage. Tout va très vite dans notre entretien tant l’homme est passionné et engagé dans sa lutte. A l’image de l’urgence climatique, sa pensée est rapide, les phrases pas toujours achevées.

Nous osons commander une assiette de charcuterie : Malheur !

« Ah non ! La très grande majorité des élevages de porc est industrielle. Les cochons sont élevés les uns sur les autres. Il faut refuser ça. Cela détruit la planète ! Au Sporting, il faut prendre les encornets grillés à l’ail, c’est délicieux !»

On décommande donc aussi sec … tel le saucisson ! Oups… pardon Yann, pour ce très mauvais calembour !
Toute cette deuxième partie d’entretien sera « bercée » par les vrombissements des nombreuses voitures de ce mois d’août.

« Regarde, on au bord de l’autoroute ! C’est insupportable ces bagnoles Place des Lices, je ne comprends pas que cette Place ne soit pas piétonne !

Je remarque qu’il n’y a pas de vélo à St Tropez, uniquement des Ferrari et des Hummer !»

Éternel débat de la place de la voiture en ville, du manque de places de parking dans un St Tropez, victime de son succès.

Mais comme Yann ne lâche rien, il y reviendra plusieurs fois dans notre entretien. C’est un débat d’ailleurs qu’il avait lancé entre autres, lors du vernissage : après avoir remercié Mr Georges Giraud, le  nous avait invité à boire un verre de vin dehors.

Éternel débat de la place de la voiture en ville, du manque de places de parking dans un St Tropez, victime de son succès. Mais comme Yann ne lâche rien, il y reviendra plusieurs fois dans notre entretien.

C’est un débat d’ailleurs qu’il avait lancé entre autres, lors du vernissage : après avoir remercié Mr Georges Giraud, le conseiller municipal, de son discours élogieux et très vivant ; Yann nous avait invité à boire un verre de vin dehors.

Alors que le micro s’est coupé entre temps, Yann apostrophe ses admirateurs d’une voix puissante :
« Est ce qu’il est bio le vin au moins ? Le vin vient d’où, s’il vous plaît ?

On a perdu 80% des insectes volants ! On a perdu 30% des passereaux. Manger bio s’il vous plaît ! En permanence ! Est que les cantines sont bio à St Tropez ? Est ce que les EPHAD…»

On ne peut plus l’arrêter et rares sont les personnes qui l’écoutent encore ; la plupart se sont déjà dispersées pour aller chercher le dit verre de vin : image assez terrible du prêcheur au milieu du désert.

Être debout et ne pas lâcher le morceau : peut-être une façon d’être digne de ce destin qui l’a épargné en 1986 ? Tiens, j’ai d’ailleurs oublié de le lui demander…

«Il faut être radical aujourd’hui : je ne prends plus l’avion parce que Greta Thurnberg à 16 ans, elle, elle le fait ! Il faut refuser la « banalité du mal», comme le dirait Hannah Arendt. Prendre sa bagnole diesel, prendre l’avion, manger de la viande : on imagine que cela n’est pas grave, aujourd’hui, ça l’est !

Même si tout ça, je l’ai aussi fait. Arrêtons de penser que ce sont les groupes qui dirigent le monde, ce sont les consommateurs qui dirigent le monde. Tant que les gens achètent de l’essence, les marchands de pétrole continueront à vendre.

l faudrait juste qu’ils assument que ce qu’ils vendent est polluant, et qu’ils le disent et l’écrivent ; comme sur un paquet de cigarette !»

En observant cette fourmilière incessante du mois d’août et ce décor luxueux, évidemment, notre défi humain me paraît encore plus criant : comment arrêter cette envie de consommation à outrance ?

Prôner la sobriété à Saint Tropez, c’est audacieux et audacieux vous l’êtes, Yann !

Voilà, que je vous vouvoie maintenant : cette fois, c’est bien l’immense respect envers votre détermination et votre dévouement qui l’emporte. J’étais donc venue à Saint Tropez pour des raisons très légères, j’y ai trouvé le sens du combat que l’humanité se doit de mener pour sa survie et le désir d’une plus grande exigence vis à vis de moi même.

« Mourir avec le sourire» : c’est le rêve exprimé par cette femme malgache interviewée il y a quelques années et la phrase à laquelle vous pensez tous les jours, dites-vous dans votre conférence.

Et vous concluez ainsi : «Donner du sens à sa vie en étant un acteur du changement et tous les jours, faire quelque chose qui soit utile au monde : c’est cela qui permet de mourir avec le sourire».

C’est bizarre, j’ai comme l’impression que vôtre sourire sera radieux !

Oui Yann ; ainsi que vous vous plaisez à dire dès que vous quittez les gens : je vous aime et je vous embrasse !

Voilà ! C’est donc comme cela que j’achevais mon portrait en 2020…

En le relisant aujourd’hui, je me dis qu’il me reste encore beaucoup de chemin pour atteindre la généreuse jeunesse de Mr Arthus-Bertrand mais la prochaine fois, en tous cas, je n’hésiterai pas une seconde : je lui payerai sa glace à la petite dame… juste histoire de… juste histoire de mourir avec le sourire !


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