Philippe Paga

Écrit par sur 19 juin 2021

UN SAGE QUI AIME LES FÉLÉS…

« Mais tu sais, moi je n’ai plus de commerce à St Tropez ?»
Philippe vient de me rappeler ! Chouette, ça va être une interview sympa !

« Mais ça ne fait rien Philippe ! Tu es un personnage incontournable à St Tropez, tu mérites ton portrait!»
« Mais qu’est ce que tu veux savoir sur moi ?»

« Ton rapport à St Tropez par exemple !»
« Eh bien, je peux tout de suite te répondre : je lui dis merci à St Tropez !

Je suis arrivé sans le sou et grâce au village, j’ai pu gagner ma vie !»
Dans sa voix, j’entends le sourire que je lui connais bien ; ce même large sourire qu’il arbore quand il salue à peu près tous ceux qu’il croise dans le village !

Notre Philippe connaît tout le monde et marcher à ses côtés, prend toujours un peu plus de temps que prévu.
Rendez vous est donc pris pour le lundi suivant, jour où notre fringuant sexagénaire ne travaille pas.

Oui, Philippe est bien à la retraite mais continue à être « Relations publiques » pour un des derniers restaurants à la mode de la Place des Lices.

« Je peux prendre un café avec vous, chère demoiselle ?» di-t­il en arrivant au-dessus de mon épaule !

Philippe, toujours espiègle, me fait sursauter : un peu en avance à notre rendez-vous, je viens de m’asseoir à une table de la terrasse du Gorille et je pensais avoir quelques minutes pour m’installer et préparer mon téléphone prêt à enregistrer… Enfin, quand celui-ci veut bien sauvegarder ce qu’il enregistre : quelques fidèles lecteurs
comprendront !

« Je t’ai amené un ami ! Il faut que tu lui fasses un portrait ! Parce que moi tu comprends, je n’ai plus d’établissement à St Tropez depuis 2015»
Décidément, je sens bien que Philippe est pudique, il va falloir le convaincre à nouveau. Je suis tout a fait partante pour ce portrait puisque l’ami en question, c’est Pistache, merveilleux restaurateur et chef du Caprice des deux, institution tropézienne.

Mais comment dire… Pas là Philippe !
Je commence à craindre que ce rendez vous ne se transforme en conversation certes amicale, mais un peu trop mondaine à mon goût. Arriverai je à ce que Philippe ne se livre un peu ?

Pistache doit sentir mon inquiétude, et c’est lui qui prend les choses en mains :
« Tu es un sage à St Tropez ! Je veux dire : grâce à toi et au métier que tu as fait pendant des années, tu as su conserver l’amitié de tous, tout en travaillant, en restant toujours le même, en ayant une attention pour chacun, et en sécurisant les jeunes qui sont venus chez toi génération après génération!»

« Ah ! Oui c’est sûr que depuis 1975 que je suis là, j’ai connu les parents et les enfants !» répond­ t­-il.

Mais qui est donc Philippe ? Un directeur de centre aéré ? Non : un directeur d’établissements de nuit. De boites de nuit, quoi ! 40 ans de travail dans le monde de la nuit. Et puisque nous sommes à présent, sur les bons rails, Pistache se lève discrètement afin de me laisser continuer : merci Monsieur !

« J’ai passé ma vie à rire, à m’amuser, à rencontrer des gens fabuleux ! Je ne peux dire que merci à la vie et à St Tropez ! »

De papa bordelais et de maman auvergnate, il quitte Bordeaux à 6 ans, vit à Paris et fait un court passage comme danseur au Paradis latin.
«On gagnait pas sa vie, j’ai vite arrêté ! »

Mais c’est quand même grâce à ce cabaret parisien que Philippe découvre St Tropez, puisqu’il y rencontre des clients qui l’invitent à passer un week­end dans le village.

« Quand j’ai vu tous ces fous, je me suis dit : c’est pour moi ! Et je ne suis plus jamais revenu au Paradis Latin !»
Et de citer Audiard : « J’aime les fêlés car ils laissent passer la lumière !»

On est en juin, il a 18 ans, il est insouciant ; invité de soirées en soirées, il dort parfois sur la plage ou au premier étage du Sporting et passe un premier été à St Tropez, sans travailler.

L’hiver arrivant, il faut quand même rentrer à Paris où il travaillera dans un premier temps au « Broad » boite des Halles, à la program­mation musicale extrêmement branchée ; puis il alternera pendant quelques années, six mois à Paris et six mois à St Tropez.

Six mois à la grande époque des « Bains douches » et six mois au Pigeonnier, LA légendaire boite de nuit gay, tenue à l’époque par Sophie Rallo.

En 1986, Philippe lui suggère le nom du nouvel établissement qu’elle va ouvrir : « Le Bal ».
« Pour pouvoir mettre tout genre de musique, même des valses et des tangos !» me précise ­t-­il.

Et cette fois, il ne sera plus en salle mais à l’accueil, aux côtés de sa patronne. Tout le défi sera alors d’attirer des clientèles très diverses.
Chose rare à l’époque : homos et hétéros font la fête ensemble et cet établissement devient un véritable phénomène. On vient de la France entière pour voir ce qu’il s’y passe.

1988 est un tournant puisque désormais, il sera aux manettes de son propre établissement : Le Pigeonnier, d’abord, qu’il prend en gérance, à l’année. Le Pigeonnier continue à être une boite de garçons mais comme dit si joliment Philippe :
« On sait bien que les tapetttes ont toujours atiré les belles souris !»

Du Pigeonnier, Philippe passera à l’Esquinade, qu’il dirigera pendant dix sept ans.

Philippe n’a de cesse de me parler de tous les gens qui l’ont aidé dans son parcours avec en particulier, Galia.

Dès 1992, et ce pendant trois ans, il fermera Le Pigeonnier le dimanche, et prendra l’avion direction Paris, pour organiser avec elle, les soirées « Absolutely Fabulous » au Queen, sur les Champs­Elysées. Ces soirées perdu­reront dix sept ans et deviendront les « Overkitsch », célèbres dimanches de Galia.

Pendant toutes ces années, Galia continuera à aider Philippe à la communication et relations publiques de ses établissements. Il tiendra aussi à citer les Giraud de l’Escale, Pierrot Lions des Mous­cardins et Antoine Salsedo, les propriétaires successifs de ses établissements :

« Ils m’ont fait confiance et m’ont augmenté mes loyers qu’une seule fois chacun !»

Je lui demande alors, si il pense qu’un jeune qui s’installerait aujourd’hui à St Tropez, pourrait connaître les mêmes opportunités.

«Tout est plus cher aujourd’hui bien sûr et c’est sans doute plus difficile ; mais je pars du principe que nous avons tous le « non », pour avoir le « oui », il faut oser demander !»

D’ailleurs, n’attendez pas de Philippe une once de nostalgie.

« Ce qui a changé, c’est qu’à l’époque, c’était les personnes qui faisaient l’endroit. »

Et d’évoquer tous ces patrons et personnages qui ont marqué St Tropez. «Mais c’est bien le changement, il faut du changement !» Il se réjouit d’ailleurs du renouveau de La Place des Lices avec tous ces nouveaux établissements festifs très complémentaires et qui s’entendent très bien, qui plus est.

Philippe est décidément ancré dans le présent et c’est sans doute pour ça qu’il a ­de prime abord ­du mal à parler de lui et de son parcours :
« Tout ça ce sont des détails. Les détails ont peu d’importance. Si je suis encore là, c’est que ça va, non?» Certes !
Et le présent se rappelle justement à nous, lorsque deux jeunes femmes s’arrêtent à notre table : « T’es pas gentil Philippe, nous on t’aime, tu sais !»

Philippe est en train de se faire gentiment disputer car il n’a pas réussi à leur trouver une table la veille.

« Depuis 14h, il n’y avait plus de place, chérie ! Comment veux tu que je fasse ?!»
Philippe est donc toujours celui qui vous ouvrira les portes du dernier endroit à la mode !
Les jeunes femmes prennent le numéro de téléphone de Mr Sesame :

« Pour être sûres d’avoir une place la prochaine fois !»
« Fais sonner chérie que je puisse enregistrer ton numéro ! Je mets quoi derrière ton prénom ? Paris, St Tropez, New-York ou Singapour ?» demande­ t-­il avec humour !
«Avignon, chéri ! Je t’appelle chéri !»
« Bisous. Soyez sages les filles !»
« Surtout pas chéri !» répondent­ elles effrontément !
Après tous ces « chéris » échangés, nous pouvons poursuivre

– As tu eu envie parfois de partir de St Tropez ?»

« Non jamais ! Pendant presque 30 ans, j’ai été ouvert à l’année et je partais à peine une semaine par an. »
Mais ce n’est plus vrai aujourd’hui, puisque depuis sept ans, Philippe voyage pendant les mois d’hiver en Asie ­au Népal, notamment ­ et fait des trekkings. Et là, quand il parle de ses voyages, Philippe devient inarrêtable et le discours s’emballe.

« Enfin, quand je dis trekking, je ne mets pas le piolet ! A mon âge quand même ! Mais je fais de la marche. 4980, c’est le maximum que j’ai fait.
Il me manquait 500m pour arriver au camp de base de l’Everest mais j’ai eu le mal des montagnes avec de terribles maux de tête. J’adore marcher. Quand tu marches, tu es face à toi même !»

Et pourtant, il y a 3 ans, Philippe a fait une terrible chute qu’il se délecte d’ailleurs, à me raconter et je suis comme une petite fille, à pousser des cris d’épouvante au fur et à mesure que le récit avance.

Mais les années où ces trekkings ne finissent pas à l’hôpital, ils sont suivis d’une retraite en monastère.
« Les moines sont des grands porteurs d’énergie posi琀ve. Ça me ressource.
Et puis, j’écoute le silence, ça me fait du bien.»

Oui, je peux comprendre qu’après 40 ans de nuit, on ait besoin d’un peu de silence !
Il me racontera aussi l’histoire de ce petit moine de 12 ans qui lui aura chipé son portable le matin, pour le lui rendre le soir, avec 550 photos dedans.
« C’était un cadeau qu’il m’offrait ! J’ai mis deux jours pour regarder tout ça !»

Une amitié naît et depuis 6 ans, Philippe suit ce petit devenu grand, qui fait des études en Inde. Son moine tuteur est d’ailleurs persuadé qu’il sera un jour, quelqu’un d’important pour le monde.
« Je serai mort d’ici là, mais c’est pas grave !»
« Te définies tu comme bouddhiste, Philippe ?»
« Non, mais j’aime bien leur art de vivre et leur façon très pacifique de voir les choses. Et du coup, je suis copain avec certains d’entre eux.»

Je constaterai qu’il dit effectivement la vérité car ­croyez moi si vous voudrez ­, l’un de ces amis moine l’appelle justement en « visio » ! Philippe me filme et me voilà qui échange quelques mots d’anglais avec ce moine du bout du monde, sur la terrasse du Gorille à St Tropez !

Cette même terrasse qui est chère à son cœur ; puisque Philippe y venait se détendre au petit matin, après les longues nuits de travail pour profiter de la folie tropézienne, encore quelques minutes.

Je ne pensais pas avoir visé si juste en lui proposant ce lieu de rendez-vous !

Je m’étonne de sa longévité dans un métier qui appelle tous les excès :
« Ce n’est pas parce que tu vis la nuit que tu es malsain ! Il y a plein de patrons de boites de nuit qui ne boivent pas, ne fument pas, ne se droguent pas !»

Et c’est sur les conseils de son médecin que depuis quelques années seulement, Philippe s’autorise un verre de Bordeaux par jour !
Et d’ajouter avec humour : « Cela dit, si il y avait que des clients comme moi, personne ne travaillerait !»

Ainsi, je me rends compte à quel point Pistache avait raison : je suis bien en face d’un sage, un sage qui a pourtant arrêté l’école en cinquième et un sage qui aime les fêlés !

J’imaginais échanger autour de potins croustillants sur la vie nocturne tropézienne, mais Philippe protège bien trop ces amis et relations pour cela ; en lieu et place, j’aurai eu une explication du sens de circulation dans les monastères bouddhistes, pendant les prières !

Étonnant Philippe ! Toujours là, où on ne l’attend pas !


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