Jaqueline Franjou

Écrit par sur 11 juin 2020

REGARDER LES CHOSES AUTREMENT

Pas besoin de chercher longtemps sur Jacqueline !

A peine son nom tapé sur le net, s’étale devant vos yeux ébahis, un parcours extrêmement impres­sionnant : nombreux postes à responsabilité dans l’industrie, les ressources humaines, la commu­nication, la politique et bien sûr plus de 30 ans de co­direction du Festival de Ramatuelle, festival de théâtre qu’elle a elle même créé avec Jean Claude Brialy et… fondatrice de plusieurs festivals inter­nationaux de photographie !

La photographie : mais oui, bien sûr, je tiens mon entrée en matière !

La Gazette tropézienne est en réalité née il y a douze ans, dans la tête des actuels créateurs et dans celle du regretté Jean-Marc Fichaux, merveilleux photographe, et photo­graphe officiel du même Festival de Ramatuelle.
Tout s’imbrique à nouveau très bien !

Un rendez-vous téléphonique est fixé par l’inter­médiaire d’une charmante attachée de presse (ce n’est pas toujours le cas !) ; cette fois ci, j’enregistrerai sur deux supports. Je sais maintenant qu’on est jamais trop prudent. C’est une très grande professionnelle, elle prépare la sortie de son livre et ajuste la programmation du festival.

En résumé, elle est une femme pressée : je ne me vois pas du tout la déranger à nouveau !
Le téléphone sonne avec 10 minutes d’avance. Ce n’est pas grave, cela fait déjà quelques minutes que je me suis rendue totalement disponible : l’endroit où ça capte bien est choisi, ma liste de questions est sous les yeux, mes enregistreurs ont été testés plusieurs fois.

Je réponds fébrilement : « Oui, allô, bonjour !»
« Oui, bonjour ! Ah ! Attendez, je vous rappelle, j’ai un problème de téléphone ! »

Mince : faux départ ! A peine raccroché, le téléphone sonne à nouveau : ouf !
Je présente en quelques mots le contexte de cette interview, j’entends bien que ça parle derrière elle : «Attendez, ne quittez pas : je suis justement aux Éditions du Cherche Midi en train de régler certains points !»

Re­-faux départ ! Quelques se­condes plus tard finalement : «Je suis à vous !» Je commence à comprendre comment en arrive à un tel parcours : tout gérer en même temps et tout le temps.

Plongeons alors tête baissée dans la vague Franjou ! Elle m’accorde travailler beaucoup mais surtout, elle me parle de pas­sion : elle a eu la chance de vouloir suivre tous les chemins qu’elle a em­pruntés, aux côtés de gens qu’elle ai­mait et respectait.

« Le travail pour moi, c’est un partage avec les autres, un échange constant. J’aime travailler avec les  êtres humains, j’ai besoin de ce contact ! Le travail, c’est un don de soi ! » Comment penser autrement quand on a grandi avec une mère qui disait : « Le travail est une prière» ?

Elle a attrapé le virus théâtral ­tout a fait bénéfique celui-là ! ­très tôt : à 8 ans, elle est en classe avec la petite fille de Marcel Aymé qui l’impressionne beaucoup avec sa gouaille et sa cigarette maïs à la bouche.

Celui-ci avait écrit une pièce de théâtre pour les enfants de sa classe, dans laquelle elle chantait et jouait une fourmi : le rôle principal quand même ! Et v’là t’y pas qu’elle me chante quelques paroles dont elle se souvient encore : je n’en reviens pas ! « Oh ! mais je me souviens aussi du téléphone de Marcel Aymé : Ornano 05-02» Une autre expli­cation de sa réussite sans doute : la capacité étonnante qu’elle a, à retenir les informations !

Je lui parle programmation de festival : comment construire un festival par essence festif, dans un monde qui doit se re­penser ?
Elle me répond diversité ; les comédies de Molière permettent bien les deux : rire et sujets de société.
Voilà notamment pourquoi les humoristes y ont une place privilégiée, encore plus depuis que Michel Boujenah a succédé à son cher Jean­ Claude, en tant que directeur artistique.

Diversité encore dans la renommée ; il y a les « sociétaires» qui viennent régulièrement : Luchini, Francis Perrin, Pierre Palmade, Michel Bouquet… mais il y aussi les découvertes : La machine de Turing et son metteur en scène Tristan Pettigirard, en est une !

Vue à l’automne 2018 à Paris, elle est bouche bée et programme cette pièce avant même que celle-ci soit récompensée de nombreuses fois.
Diversité aussi dans les disciplines : elle a par exemple, ajouté en amont du festival de théâtre, trois nuits de concerts de musique classique .

La danse trouvera également sa place cette année, dans le spectacle d’Abd El Malik, Le Jeune Noir à l’Épée ! Et la voici qui sait rebondir sur ma question précédente : « En ces temps de tensions policières et d’émeute raciale aux USA, ce n’est pas innocent de le faire venir !» Slam et danse dans une création poétique qui livre une réflexion sur l’identité à l’heure de la mondialisation : oui, le Festival de Ramatuelle raconte notre monde.

« Non, ça ne va pas du tout ; il faut rajouter…» Qu’ai je dit qui ne fallait pas ? Ah ! Non : je comprends que
Jacqueline est encore en train de régler quelques pointes de détail chez son éditeur ! Elle revient aussitôt à notre conversation, avec toujours la même vivacité d’esprit : « Jacques Weber revient cette année et c’est lui aussi qui fait le visuel de l’affiche !» Ok Jacqueline, c’est noté !

Le don d’ubiquité est sans doute un autre de ses se­crets : totalement avec moi dans l’échange, totale­ment au Cherche Midi pour les dernières corrections.

Je risque une question : « Que penser de celui qui dirait que le théâtre est futile et accessoire ?»

« Une première réponse pet sec serait : c’est un imbécile !» Bien sûr, elle développe et revient sur l’aspect essentiel du théâtre et des arts en général.
Elle évoque les réseaux sociaux : a force de messages tronçonnés, on rétrécit le champ de réflexion. On a besoin des artistes et des auteurs pour penser. « Toute la politique d’aujourd’hui est dans Shakespeare !»

Je bifurque vers son rapport à la photo : « Les photographes m’ont appris à regarder les choses autrement ! » Et puis, quand elle m’explique que faire un festival de photo c’est chercher des mécènes car elle tient à payer les photographes, les tirages, et sortir un catalogue : « Mais vous êtes un monstre de travail ! »

« Non mais j’ai une équipe formidable» me dit-elle dans un joli éclat de rire.
Elle finit par me dire être, comme tout a chacun, un passeur : « on est tous de passage sur cette planète, alors autant aider à transmettre des message»

Avec une émotion palpable, elle me lit un des passages de son livre pour… ne pas dire de « conneries» s’exclame­ t­elle ! Pardon Jacqueline : vous auriez sans doute aimé que je corrige cette grossièreté ; mais celle-ci dit quelque chose de votre franc parler qui me plaît.

«Avec ce livre, ma seule ambition est de faire découvrir nos coulisses et de partager un peu du bonheur que j’ai vécu ici. Je tenais à laisser quelque chose à tous ceux qui ont aimé le Festival.

A mes petits-fils aussi – ils sont à moitié chinois, à moitié anglais -, pour qu’ils n’oublient jamais la part de culture française qui coule dans leurs veines.»

Je finis l’écriture de ce portrait les pieds dans le sable au restaurant des Salins : Manu m’a permis de ravitailler mon ordinateur au premier étage ! C’est la veille de mon départ, après une semaine de passionnantes rencontres : je regarde la mer ­sublime en cette fin d’après-midi ­tout en ré­-écoutant les fulgurances, la jeunesse et l’entrain de Jacqueline.

Devant tant de beauté, d’intelligence et de générosité, je me dis que, quand même, le monde mérite d’être sauvé !
Merci Mme Jacqueline Franjou pour cet instant d’éternité !

Nous nous retrouverons sous les étoiles. Vive le Festi琀val de Ramatuelle ! Vive le théâtre !
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